Courrier de Rome, Févr. 2006, n°286 – Canonicus: L’injuste suppression d’Écône
La ferme protestation de Mgr Lefebvre
contre l’injuste suppression du Séminaire d’Écône
Dans son homélie de Venise, Mgr Lefebvre
résumait l’affaire, alors relativement récente, de la suppression de la
Fraternité fondée par lui : « Je vais à Rome cinq ou six fois par an
pour supplier les cardinaux, le Pape lui-même, de revenir à la
Tradition, pour redonner à l’Église sa vie catholique [...]. Ma
Fraternité, en effet, a été reconnue officiellement il y a dix ans par
Rome et par l’évêque de Fribourg, en Suisse, dans le diocèse duquel elle
a été fondée. Ensuite, des évêques progressistes et modernistes ont vu
dans mes séminaires un danger pour leurs théories ; ils se sont fâchés
contre moi et ils se sont dits : il faut détruire ces séminaires, il
faut en finir avec Écône et avec l’œuvre de Mgr Lefebvre, parce qu’ils
sont dangereux pour notre plan progressiste révolutionnaire. Ils se sont
adressés à Rome sur le même ton, et Rome a cédé.
Mais, comme je l’ai dit à Sa Sainteté
Jean-Paul II, la suppression a été faite d’une façon contraire au Droit
Canon : même les soviets ne prononcent pas des jugements comme ceux
prononcés à Rome par les cardinaux sur mon œuvre. Les soviets ont un
tribunal, une espèce de tribunal pour condamner quelqu’un, mais moi, je
n’ai même pas eu un tribunal, rien. Un beau jour est arrivée une lettre
[le 6 mai 1975, de l'Ordinaire du lieu, S.E. Mgr Mamie, archevêque de
Fribourg, en Suisse] pour me dire que le séminaire devait être fermé
»[1].
La suppression du séminaire d’Écône doit être tenue pour invalide à tous les NIVEAUX
Il y a trente ans, dans cette même
revue, qui venait d’être fondée depuis peu par don Francesco Putti,
complètement indépendante (alors comme aujourd’hui) de la FSSPX, un
article détaillé révélait les différentes et graves irrégularités de la
procédure mise en œuvre pour frapper la Fraternité, procédure invalidée à
la racine par l’absence de « motifs graves ». Ces motifs graves n’ont
jamais pu être définis, puisqu’ils n’existent pas : ce sont les «
désordres moraux » ou les « déviations doctrinales » requis par le droit
canon pour une mesure coercitive d’une telle gravité. « La fermeture
d’un séminaire où étaient formés quelque cent élèves [ce qui était
reconnu par les organes compétents eux-mêmes] – écrivions-nous – ne
pouvait pas être décrétée pour une déclaration de son supérieur [Mgr
Lefebvre], désapprouvée par l’Autorité ecclésiastique, la désapprobation
eût-elle été fondée et juste [le 21 novembre 1974, Mgr Lefebvre, qui
avait déjà déclaré officiellement en 1971 son refus du Novus Ordo Missœ,
indigné par les déclarations hétérodoxes faites à ses séminaristes par
deux visiteurs apostoliques (11-13 nov. 1974), avait pris publiquement
position contre les infiltrations « néomodernistes » dans l'Église
officielle - et cela comportait une critique implicite du Pontife alors
régnant, S.S. Paul VI - en proclamant son immuable fidélité à
l'enseignement du Concile de Trente], [...]. Il est arrivé de nombreuses
fois que des supérieurs soient destitués pour une déclaration
inacceptable ou pour un acte grave de désobéissance au Souverain
Pontife, mais jamais les séminaires, les instituts n’ont été fermés pour
un tel motif [...]. Et si l’on a parfois constaté que les idées
soutenues par le fondateur ou le supérieur exerçaient une influence
néfaste sur la formation des élèves, on y a remédié par la nomination
d’un visiteur permanent »[2].
L’article s’arrêtait aussi sur la
question de la compétence de l’Ordinaire dans ce cas. Il rappelait que,
d’après le Code de droit canonique (CIC) alors en vigueur, celui de
1917, l’évêque local ou Ordinaire ne peut pas « supprimer tout ce que
lui-même ou ses prédécesseurs ont institué ou approuvé » : pour la
suppression des « congrégations religieuses de droit diocésain »,
c’est-à-dire érigées légitimement par l’évêque dans son diocèse, seul le
Saint Siège est compétent (can. 493, CIC). Un éventuel décret épiscopal
de suppression nécessitait donc, pour être valide, une autorisation
expresse, spécifique, du Saint Siège (du Pape, à travers la Congrégation
compétente). C’est le Saint Siège qui devait « être mis en mouvement ».
Mais cette « mise en mouvement » eut lieu de façon tellement
irrégulière, qu’elle ne peut que nous amener à la conclusion que toute
la procédure doit être tenue pour invalide, ce qui invalide à la racine
la décision même de suppression[3].
La question de la compétence constituait
naturellement l’argument clé du recours présenté par Mgr Lefebvre au
Tribunal de la Signature Apostolique, et déclaré irrecevable par ce
dernier. Mgr Lefebvre arguait de l’invalidité intrinsèque de la décision
et donc de sa nullité radicale, à tous les niveaux, à cause de
l’incompétence aussi bien de l’Ordinaire local pour la prononcer que de
la « commission cardinalice » pour juger l’appelant en matière de foi.
Mgr Lefebvre s’appuyait sur le fait que l’Ordinaire n’avait jamais reçu
aucune autorisation valide du Saint Siège, c’est-à-dire conférée dans
les formes requises par le droit.
La vraie nature juridique de la FSSPX
Sur le point capital de l’incompétence
de Mgr Mamie, qu’il nous soit permis de faire quelques considérations.
La FSSPX, comme il ressortait de ses statuts et de son activité, était
une société sacerdotale de vie commune sans vœux [publics], à l’exemple
des sociétés des Missions Étrangères (chap. I, 1 des statuts), dont la
fin était la formation sacerdotale selon les principes traditionnels de
l’Église, principes qui impliquaient, entre autres, le maintien de la
sainte Messe tridentine (chap. II, 2-3 des Statuts). Ces « sociétés »,
dans le droit canon alors en vigueur (CIC, 1917), étaient considérées
comme des congrégations (religiones) au sens large, par rapport aux
congrégations « au sens strict », comme les ordres, dont les membres
avaient une communauté de vie et professaient publiquement les trois
vœux de chasteté, pauvreté et obéissance. Ces vœux pouvaient être
solennels (ils rendaient ipso iure invalide un acte accompli en leur
violation), ou simples (ils rendaient illicite mais non invalide ce même
acte)[4].
L’existence de vie en commun sans vœux
se déroulait « à l’imitation de celle des congrégations, sans en avoir
les obligations strictes, et pour des buts semblables, c’est-à-dire
viser à une plus grande perfection spirituelle et également accomplir
des œuvres de charité chrétienne ou exercer un apostolat religieux ou
social. Plus précisément, elles sont proches des congrégations
religieuses, avec lesquelles elles se confondent parfois extérieurement.
Le code reconnaît leur existence, dans la mesure où les membres
(sodales) de ces sociétés – qui peuvent être aussi bien masculins que
féminins – vivent en commun, sous le gouvernement de supérieurs et selon
leurs propres constitutions, dûment approuvées, mais sans prononcer les
trois vœux publics habituels. Ces sociétés, comme le dit expressément
le code, ne sont pas exactement des congrégations, et leurs membres ne
peuvent pas précisément être qualifiés de religieux ; toutefois elles se
répartissent, comme les congrégations, en sociétés cléricales et en
sociétés laïques [quand elles ne se composent pas majoritairement de
prêtres], et en sociétés de droit pontifical et de droit diocésain.
Elles sont soumises, quant à leur érection et à leur suppression, aux
règles en vigueur pour les congrégations, ainsi qu’en général, par
analogie, et dans la mesure du possible, aux règles du droit commun
relatives à ces dernières [...]. Les dénominations spécifiques que ces
sociétés ont coutume de prendre en pratique (oratoires, retraites,
béguinages, conservatoires, sociétés pieuses, etc.) ne sont pas soumises
à des règles précises »[5].
Dans la pratique, la terminologie était
plutôt souple. Mais ce qui importe, au regard de notre discours, c’est
la discipline alors en vigueur pour l’érection et la suppression (ce
dernier événement étant plutôt rare) des sociétés en question, qui était
en substance celle des congrégations. Les religiones se partageaient
(ex. can. 488 3°) en congrégations de droit pontifical, si elles avaient
obtenu l’approbation ou au moins le décret d’approbation du Saint
Siège, et en congrégations de droit diocésain si, érigées par l’évêque,
elles n’avaient pas encore obtenu le décret d’approbation[6]. Le c. 492,
§ 2 du CIC établissait par ailleurs qu’une congrégation de droit
diocésain, même si elle était « répartie sur plusieurs diocèses »,
demeurait de droit diocésain, c’est-à-dire soumise à l’évêque du
diocèse, tant qu’elle n’avait pas reçu « l’approbation pontificale ou le
décret d’approbation ». Toutefois, « une fois fondée légitimement », sa
suppression était réservée au Saint Siège : supprimi nequit nisi a
Sancta Sede (c. 493). De cette façon, le droit canon introduisait des
limites au pouvoir de l’évêque à la juridiction duquel la congrégation
était soumise[7]. Cette règle a joué un rôle fondamental dans l’affaire
de la suppression de la Fraternité, étant donné que la discipline de
l’érection et de la suppression des congrégations était expressément
étendue par le c. 674 aux sociétés de vie en commun sans vœux, appelées
elles aussi congrégations, dans la terminologie élastique de l’époque.
La FSSPX avait été régulièrement
constituée par le prédécesseur de Mgr Mamie, S.E. Mgr Charrière, qui en
approuva formellement les statuts le 1er novembre 1970. Par conséquent,
la Fraternité ayant été régulièrement constituée selon le droit, Mgr
Mamie ne pouvait la supprimer qu’avec une autorisation expresse du Pape,
une sorte de délégation de pouvoir. Mais il n’apparaît pas qu’une telle
autorisation ait jamais été donnée. Il n’apparaît pas non plus que le
pontife alors régnant, S.S. Paul VI, ait approuvé dans sa forme
spécifique toute la procédure, irrégulière à bien des égards, qui
aboutit à la lettre de suppression de la FSSPX. Cette approbation, qui
doit être formelle, expresse, aurait régularisé toute éventuelle
irrégularité et tout abus, à moins que n’aient été violées la loi
naturelle ou la loi divine. Et en effet, le Tribunal de la Signature
Apostolique déclara irrecevable le recours de Mgr Lefebvre, avançant
précisément l’argument de l’approbation spécifique par le Pape de la
mesure contestée, alléguant donc un fait dont l’existence n’a jamais été
prouvée.
Société de vie en commun, ou pia unio?
Le fait est que quand Mgr Charrière, «
toutes les prescriptions canoniques étant observées », accorda son
autorisation, il érigea la FSSPX « au titre de Pia Unio », et non au
titre de « société sacerdotale de vie commune sans vœux » (vulgo, «
congrégation », comme il résulte de l’art. 1 des statuts)[8]. Alors,
peut-être Mgr Mamie avait-il raison ?
En effet, pour la suppression d’une «
pia unio » non érigée par le Saint Siège et agissant dans le diocèse,
c’est l’Ordinaire local qui était compétent, sans nécessité d’une
autorisation pontificale ad hoc, avec toujours une possibilité de
recours auprès du Tribunal de la Signature Apostolique.
Mais qu’est-ce qu’une pieuse union ?
Les instituts dont nous parlons ici
appartiennent désormais à l’histoire du droit canon, puisque le nouveau
CIC, celui de 1983, en a partiellement modifié la discipline, tout en
innovant aussi dans la terminologie. Il n’est donc pas facile de s’en
faire une idée précise aujourd’hui. Les pieuses unions, comme les tiers
ordres séculiers, les confréries, étaient des associations
traditionnellement constituées de fidèles laïcs, auxquelles pouvaient
évidemment aussi participer des clercs et des religieux. Les fidèles qui
les composaient, n’étant pas liés par des vœux ni par « le lien
organique et durable avec l’association » (c’est-à-dire la vie en
commun), vivaient dans le siècle « en vaquant à leurs occupations
normales », tout en se proposant d’accomplir des « œuvres spéciales » de
piété et de charité dans un but surnaturel. Un exemple célèbre de pia
unio est donné par les Congrégations mariales, qui, malgré leur nom,
étaient des associations de laïcs qui se proposaient d’accomplir un
apostolat, en répandant particulièrement le culte de la très sainte
Vierge (par exemple avec les Filles de Marie)[9].
La FSSPX devait-elle être considérée
comme une « pia unio », au même titre que les Filles de Marie?
Certainement pas. Sa nature juridique intrinsèque, comme nous l’avons
déjà vu, était celle d’une société de vie commune sans vœux, comparable
aux congrégations au sens strict. Comment expliquer, alors, qu’elle soit
née avec l’étiquette de « pia unio »? Le terme ne doit pas être compris
dans un sens générique, mais technique. Son emploi montre l’adoption de
ce qui devait être une pratique affermie des évêques. Comme il devait
toujours y avoir une période d’essai (renouvelable) de quelques années,
en général six, avant d’arriver à l’approbatio définitive, on commençait
par ériger « au titre de pia unio » la société qui allait par la suite
se transformer en congrégation. Lorsque ce titre ne correspondait pas à
la nature et à l’activité effective de l’entité, c’est-à-dire d’une
entité qui, née en tant que « pia unio » effective (composée
majoritairement de clercs, en l’occurrence), allait ensuite se
transformer en société de vie commune sans vœux, alors on était en
présence d’une fiction légale, qui présentait l’avantage de permettre à
l’Ordinaire une approche la plus prudente possible de la nouvelle
réalité ecclésiale et une plus grande liberté d’action à l’égard du
Saint Siège, étant donné que l’érection d’une entité au titre de « pia
unio » n’était pas liée à un nihil obstat préalable du Saint Siège,
obligatoire en revanche pour les congrégations (c. 492 § 1) : « Episcopi
[...] condere possunt Congregationes religiosas; sed eas ne condant
neve condi sinant, inconsulta Sede Apostolica ». Dans le cas de la « pia
unio » fictive, si d’aventure on décidait de la supprimer, qu’allait-on
supprimer : la « pia unio » formelle (et alors la compétence de
l’Ordinaire était indiscutable)[10] ou la société concrète de vie
commune sans vœux? Nous sommes de ceux qui pensent que, dans certains
cas, l’organisation juridique concrète doit prévaloir sur l’organisation
juridique formelle, surtout quand elle est purement formelle. Et nous
sommes convaincus que cette façon de sentir est conforme à l’esprit du
droit canon. C’est l’entité dans sa réalité institutionnelle concrète,
c’est ce qu’elle est selon ses statuts, confirmés par le comportement
effectivement adopté, c’est cette entité que l’autorité décide à un
certain moment de supprimer. La réponse à la question ci-dessus nous
semble donc évidente. La FSSPX a agi depuis le début de son existence
comme congrégation à tous points de vue, il n’y a pas eu de période
préliminaire pendant laquelle ses membres auraient vécu sans pratiquer
la vie en commun, sans observer l’obligation de conformer chacune de
leurs actions quotidiennes aux prescriptions des statuts.
Deux confirmations de notre thèse
Le fait que la FSSPX a toujours été
considérée comme une société de vie commune sans vœux est également
prouvé, à notre avis, par deux autres faits. Entre 1971 et 1975, le
Saint Siège autorisa trois prêtres extérieurs à la Fraternité à y être
incardinés canoniquement[11]. Cela démontre que la Fraternité était
considérée comme une congrégation, et non comme une pia unio. En outre,
dans le protocole d’accord signé par le Saint Siège et la Fraternité le 5
mai 1988, et auquel, comme chacun sait, il ne fut donné aucune suite,
on affirmait au sujet des « questions juridiques » à régler : « En
tenant compte du fait que la Fraternité [...] a été conçue depuis 18 ans
comme une société de vie en commun [...] la forme canonique la plus
adaptée [à son encadrement selon le nouveau Code] est celle d’une
Société de vie apostolique »[12]. On constate donc ici que son érection «
au titre de pia unio » est oubliée, car sans signification pour la
détermination de la nature juridique spécifique de la Fraternité.
Ces affirmations ont été, à l’époque,
signées par le cardinal Ratzinger. Cela signifie que le Saint Siège
n’avait aucune objection à l’affirmation que la Fraternité « avait été
conçue pendant 18 ans [et donc depuis sa constitution] comme société de
vie en commun [sans vœux publics] ». Le régime juridique que le
protocole d’accord prévoyait pour elle, en conformité avec la discipline
du nouveau CIC, était celui de la « société de vie apostolique ». Or
ces societates vitœ apotolicœ sont précisément, mutatis mutandis, les
héritières directes, comme l’on sait, des societates in communi
viventium sine votibus du code précédent : « Dans le CIC de 1917 aussi
(c. 673-681), ces sociétés [de vie apostolique] avaient reçu un
traitement du législateur, également sous la dénomination de sociétés de
vie en commun sans vœux. Il y a donc, chez le législateur d’hier et
d’aujourd’hui, une volonté évidente de les exclure de la catégorie des
religieux au sens strict [...]. Toutefois, cela n’empêche pas qu’elles
soient considérées [par le code lui-même] comme semblables aux instituts
de vie consacrée [c'est la nouvelle dénomination des religions] soit
parce qu’elles ont une vie commune, soit parce qu’elles professent des
vœux religieux, soit parce qu’elles observent les constitutions [leurs
statuts][13].
Puisque la FSSPX était une societas de
vie en commun sans vœux, son intégration dans la forme juridique de la
societas vitœ apostolicœ du nouveau code constituait une sorte de
débouché naturel, débouché contre lequel personne n’avait la moindre
objection. Du protocole d’accord du 5 mai 1988, on peut donc retirer, à
notre avis, une indéniable confirmation post factum de la vraie nature
juridique de la Fraternité, qui n’est pas et n’a jamais été celle de la
pia unio. Les « pieuses unions » ont disparu du nouveau code, en tant
que catégorie autonome. Elles sont comprises dans les prescriptions
générales du c. 304 sur les « consociationibus christifidelium »,
c’est-à-dire sur les « associations » de fidèles, publiques ou privées, «
quelle que soit leur appellation ». Des anciennes associations de
fidèles, seuls les Tiers Ordres ont été maintenus comme forme autonome,
au c. 303.
Le sens authentiquement religieux de la « croisade » invoquée par Mgr lefebvre
On le sait, Mgr Lefebvre ne plia pas
devant l’injustice qu’on lui faisait subir, il refusa de fermer son
séminaire (aujourd’hui encore bien vivant et florissant), et il procéda
aux ordinations épiscopales prévues pour le 29 juin 1975. Il fut, pour
cela, suspendu a divinis. Quelle valeur doit-on accorder à cette «
suspense » ? Nous pensons n’offenser personne en affirmant qu’elle doit
être considérée comme contestable, en raison d’une absence de prémisses
légitimes, car prononcée sur la base d’un acte qui constituait un abus
de pouvoir de la part de l’autorité, et qu’elle est de toute façon
invalide. En effet, la « désobéissance » de Mgr Lefebvre, dans la mesure
où elle avait été provoquée par l’état de nécessité dans lequel il
s’était trouvé soudainement et injustement, soit ne pouvait pas
constituer un motif d’accusation (car le c. 2205 § 2 admettait la
situation de « nécessité » parmi celles qui supprimaient l’imputabilité
même du « délit » éventuellement commis), soit devait être punie (dans
l’esprit du code de droit canon, qui tenait en particulier au principe
de juste proportion entre peine et délit – c. 2218 § 1) par une sanction
moins sévère. Cette « désobéissance », en effet, aurait très bien pu se
voir appliquer les prescriptions du § 3 de ce même canon, qui énumérait
certains types d’actes accomplis en état de nécessité, lesquels ne
supprimaient pas l’imputabilité mais l’atténuaient. Parmi ces actes se
trouvaient justement les actes accomplis « in contemptum ecclesiasticae
auctoritatis », auxquels pouvait être assimilé un comportement considéré
comme désobéissant (cf. c. 2331 § 1).
Mais ce qui est arrivé par la suite à
Mgr Lefebvre fut encore pire, nous le savons, avec l’excommunication de
1988 qui lui infligeait l’étiquette de « schismatique » parce qu’il
avait consacré quatre évêques comme ses successeurs pour conduire la
FSSPX, n’observant pas la volonté du Pontife alors régnant, qui l’avait
invité à surseoir, à continuer les négociations en cours depuis quelque
temps avec le Saint Siège au sujet du choix de son ou ses successeurs.
Sur la question de l’excommunication et du « schisme » supposé de Mgr
Lefebvre, notre revue s’est déjà prononcée dans deux études ad hoc,
parues il y a quelques années (Les consécrations épiscopales de S.E. Mgr
Lefebvre nécessaires malgré le « non » du Pape. Étude théologique, par
Hirpinus (1999); Une excommunication invalide – un schisme inexistant.
Réflexions dix ans après les sacres d’Écône. Étude canonique, par
Causidicus, 1999). Il nous semble donc inutile de revenir sur le sujet.
Nous sommes de ceux qui pensent que Mgr Lefebvre a toujours agi avec la
plus grande bonne foi. Nous sommes certains, et tout son comportement le
démontre, qu’il a pris sa décision convaincu de se trouver en état de
nécessité, à cause des réticences et des ambiguïtés qui se prolongeaient
du côté du Vatican, au sujet des modalités et de la date du choix des
successeurs (un exposé détaillé et impartial des événements qui ont
conduit au sacre des quatre évêques d’Écône est proposé par Bernard
Tissier de Mallerais, op. cit., pp. 557-595).
Excommunication invalide, donc, parce
qu’exclue expressément par le CIC de 1983 en tant que punition
s’appliquant à une désobéissance motivée par une telle conviction, et
schisme inexistant, car les faits démontrent que jamais Mgr Lefebvre n’a
voulu instituer une Église parallèle, pas plus que les quatre évêques
qu’il a consacrés. La FSSPX doit toujours être considérée comme membre à
part entière de l’Église militante, dont personne ne peut être exclu
par des mesures invalides.
La « croisade » à laquelle Mgr Lefebvre
invitait les catholiques n’était donc pas celle d’un prêtre rebelle à
l’enseignement de l’Église, accusé carrément de schisme !
Canonicus
[1] Homélie de Venise, cit. Le séminaire devait être fermé immédiatement.
[2] Voir Si Si No No, 1 (1975), n°9 (il
s’agit de la version italienne du périodique – ndr) : Au sujet de la
fermeture du Séminaire d’Écône de la Fraternité Saint Pie X : Illégalité
d’un procès – iniquité d’une décision, pp. 4-5, par Ulpianus. Il
s’agissait de Mgr Arturio de Iorio, juge au tribunal de la Rota. La
lettre par laquelle on supprimait le séminaire avec effet immédiat, en
retirant l’autorisation d’existence à la FSSPX, avait été précédée par
une convocation informelle à Rome de Mgr Lefebvre face à trois cardinaux
pour un simple « échange d’idées », face à une commission informelle
(illégale pour diverses raisons, comme le démontrait l’article, si
constituée et agissant en tant que tribunal) qui lui avait durement
reproché sa déclaration du 21 novembre 1974, en l’accusant de « vouloir
faire l’Athanase » (l’évêque qui avait commencé pratiquement seul la
lutte contre l’hérésie arienne, au IVe siècle, injustement excommunié
par deux fois). La lettre de Mgr Mamie faisait référence à l’autorité de
cette « commission cardinalice » pour justifier son action, déclarant
agir « en plein accord » avec le Saint Siège, déclaration qui ne
démontre pas, en tant que telle, l’existence d’une autorisation
spécifique (qui n’a jamais été donnée), conférée dans les formes
requises par le droit canon.
[3] Si Si No No, cit.
[4] Ces détails sur l’institution de la
société de vie commune sans vœux proviennent principalement de : A.
Bertola, La Constitution de l’Église, cours de droit canon, Turin, 1958,
éd. revue et augmentée; Eichmann-Mörsdorf, Lehrbuch des Kirchenrechts
[Manuel de droit canon], 1964, 11e édition, München, Paderborn, Wien,
vol. I, 2e et 3e parties.
[5] Bertola, op. cit., pp. 240-1.
[6] Op. cit., p. 212.
[7] Eichmann-Mörsdorf, cit., p.493.
[8] Statuts de la Fraternité des Apôtres
de Jésus et de Marie ou (selon le titre public) de la Fraternité
Sacerdotale Saint Pie X.
[9] Pour plus de détails sur l’institution de la pia unio, voir : v. Del Giudice, Notions de droit canon, Giuffré, Milan, 1970.
[10] Sur ce point : Bernard Tissier de
Mallerais, Marcel Lefebvre. Une vie, Clovis 2002, p, 508. S.E. Mgr
Tissier de Mallerais, dans cet ouvrage fondamental pour la compréhension
de la figure de Mgr Lefebvre, considère comme juridiquement (mais non
moralement) légitime la suppression de la FSSPX par Mgr Mamie :
« Le 25 avril, en effet, le cardinal
Tabera [l'un des membres de la "commission cardinalice" dont nous avons
déjà parlé] assure Mgr Mamie qu’il « possède l’autorité nécessaire pour
retirer les actes et concessions » de son prédécesseur. C’est bien
exact, hélas! La Fraternité, n’ayant pas même reçu le Nihil obstat de
Rome, n’est pas devenue société de droit diocésain, mais en est restée
au stade préliminaire de pia unio. L’évêque peut donc la dissoudre (cf.
canon 492, § 1-2, et 493) pour une raison grave. Raison grave, la
« déclaration » [du 21 novembre 1974, déjà citée] l’est devant les
hommes en place, même si elle ne l’est pas devant Dieu ».
Voir aussi pp.459-460, où l’on révèle
que le recours à la formule de la « pia unio » fut suggéré par des
cardinaux amis de Mgr Lefebvre. Ainsi, ajoutons-nous, on évitait de
devoir dépendre de l’autorisation préalable du Saint Siège (non requise
pour les pieuses unions – c. 708 : sufficit Ordinarii approbatio), au
sein duquel Mgr Lefebvre avait des ennemis puissants. Mais l’érection «
au titre de pia unio » ne transformait pas la FSSPX en une pia unio,
elle ne la faisait pas être quelque chose de différent de ce qu’elle
était, elle se limitait à lui coller une étiquette ne correspondant pas
au contenu, pour des raisons de prudence et d’opportunité parfaitement
compréhensibles, imposées par la situation à quelqu’un qui, dans la
Hiérarchie, face à la grave crise dans laquelle se trouvaient les
séminaires investis par les « réformes » promues par Vatican II, se
préoccupait d’en faire naître un qui soit fidèle à l’enseignement
traditionnel.
[11] A Rome and Écône Handbook, Q 2.
[12] Texte dans Cor Unum, n°30, juin 1988, p. 31.
[13] Commentaire du CIC de 1983, par Mgr Pio Vito Pinto, 1985.
Sì Sì No No, Année XXXIX, n°286 Mensuel – Nouvelle Série Février 2006
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